Search This Blog

Thursday, March 13, 2008

Irak : que cache le joli visage

d’Angelina Jolie?

Emmanuel Katz

Début février, l'actrice américaine Angelina Jolie débarque en Irak, déléguée par les Nations Unies pour « aider les réfugiés irakiens ». Durant son bref séjour, elle n'a pas manqué d'aller rendre visite au général David Petraeus, le plus haut gradé de l'armée d'occupation. Que dissimule cette opération de charme hautement médiatisée ? Panorama d'un pays et d'un peuple dévastés par deux guerres d'agression, 12 ans d'embargo et cinq ans d'occupation.

"Jusqu'en 1990, l'Irak avait un des meilleurs systèmes de soins de santé du Moyen-Orient. C'était le résultat d'un engagement profond des professionnels de la santé pour offrir un service de qualité à leurs patients, d'une planification à long terme et orientée par les gouvernements irakiens successifs depuis les années '30 et de structures gouvernementales disciplinées et fiables, quoique parfois maladroites."

Dahr Jamail. Extrait d'un rapport soumis en tant que pièce à conviction au Jury de Conscience lors de la clôture du Tribunal Mondial sur l'Irak à Istanbul, le 23-27 juin 2005.

"Cela m'attriste qu'il soit politiquement inconvenant de reconnaître ce que tout le monde sait. La guerre en Irak concerne avant tout le pétrole."
Alan Greenspan, ex-président de la Federal Reserve Board, la banque nationale US.

Du sang et des dollars

Selon Oxfam, 8 millions d'Irakiens ont un besoin urgent d'aide médicale, mais comme le confirme un rapport récent du Medact près de 75% des médecins, dentistes, infirmières et pharmaciens ont fui le pays. Actuellement, il reste 6.médecins pour 10.000 Irakiens. Au Royaume-Uni, ils sont 23 pour 10.000 habitants. En cause : l'invasion, l'occupation, la violence, l'insécurité permanente, le chaos administratif... et les enlèvements de médecins contre rançon. Les docteurs constituent une des cibles favorites de bandes car ils sont en général relativement plus aisés que le reste de la population. Il faut ajouter à cette liste, les coupures régulières d'électricité, les difficultés d'accès à l'eau potable - seul 40% de la population en bénéficie - et les irruptions de soldats de tous bords dans les hôpitaux, où ils terrorisent, frappent et tuent médecins et patients...

Les condtions de vie se sont fortement dégradées en 5 ans. Photo: intal.

Selon un rapport récent de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), il y a eu, entre 2003 et 2006, au moins 150.000 morts violentes en Irak - effet dévastateur de l'invasion et de l'occupation. Mais il y a également eu une augmentation de 60% des morts non-violentes suite aux conditions de vies abominables et à l'effondrement global de la société irakienne. Selon l'OMS, la mortalité en Irak a plus que doublé suite à l'invasion. Une étude menée par le bureau d'enquête ORB et publié en septembre 2007, estime à 1.02 millions le nombre de morts provoqués par la guerre.

Pas étonnant dès lors, que le Global Peace Index de 2007 décrive l'Irak comme « l'endroit le plus violent et le plus dangereux de notre planète ». Pour le UN World Food Programme qui a déclenché une opération d'urgence en janvier 2008 , l'rak - avec ses quatre millions de personnes qui ont besoin d'aide alimentaire - souffre aussi de la faim.

Démolir puis reconstruire?

Dans ce contexte apocalyptique, il est particulièrement scandaleux de parler de « reconstruction », comme le font les occupants. Démolir puis reconstruire...Et si encore, c'était fait ! Sur les 18 milliards de dollars destinés, en principe, à cet usage, 4%, toujours en principe, ont été alloués aux soins de santé. En principe, car cet argent sert principalement à enrichir de grandes sociétés américaines comme Bechtel, qui ont reconstruit une faible proportion des bâtiments hospitaliers détruits ou endommagés.

Il y a également la corruption et l'indifférence du gouvernement mis en place sous la tutelle de l'envahisseur. Pour Roger Right , représentant de l'UNICEF en Irak : « La vie de millions d'enfants en Irak est menacée par la violence, la malnutrition, l'absence d'eau potable. La corruption détourne chaque année 100 millions de dollars destinés en principe à l'enfance irakienne. Le gouvernement irakien se comporte comme s'il n'était pas concerné par le problème... Les problèmes de l'enfance n'apparaissent ni dans sa législation, ni dans ses statistiques, ni dans ses projets sécuritaires,ni même dans son discours officiel quotidien. » Il y a environ 5 millions d'orphelins en Irak. 30% des enfants irakiens n'ont pas pu passer leurs examens de fin d'année ; 40% seulement les ont réussis. Un véritable génocide culturel, dont les effets destructeurs se feront sentir durant des décennies.

Pas de sang pour du pétrole. Photo: intal

Toute l'horreur criminelle de l'invasion et de l'occupation de l'Irak (et de l'Afghanistan) devient encore plus évidente quand on compare les chiffres ci-dessus avec les budgets prélevés dans les poches des citoyens américains pour mener cette guerre terroriste... « contre le terrorisme » : 93 milliards de dollars de 2003 à 2005, 120 milliards en 2006, 171 milliards en 2008. On le voit : on est loin, très loin, des alibis avancés par les administrations Bush, père et fils pour « libérer le peuple irakien de la tyrannie et du terrorisme » et lui "apporter la démocratie et la liberté ».

Une tragédie humaine sans précédents

Mayada Marouf, de l'ONG Keeping Children Alive déclarait à l'automne 2007 : « Les enfants n'ont pas assez de vêtements chauds ; l'hiver approche et les familles déplacées sont sans couverture ni appareil de chauffage ». La guerre a fait 2 millions de personnes déplacées qui se sont réfugiées en Syrie ou en Jordanie ; 1.2 million d'habitants a trouvé refuge à l'intérieur même de l'Irak. Selon l'UNICEF, l'organisation des Nations Unies pour les enfants, 50% des personnes déplacées sont des enfants de moins de 18 ans. Les réfugiés vivent dans des camps temporaires ou des maisons abandonnées. Les enfants ont un accès difficile à l'eau, aux soins médicaux et aux écoles, débordées par l'afflux de « migrants internes ». Beaucoup d'entre eux présentent de graves problèmes de santé y compris des troubles mentaux.

« La peur est comme un cancer »

Depuis l'invasion orchestrée par les Etats-Unis en 2003, Jalah Hashimy, 14 ans, a perdu ses parents, sa sœur et de nombreux amis. Aujourd'hui, il n'a plus personne pour s'occuper de lui. Il ne va plus à l'école et ne bénéficie ni d'amour, ni d'une quelconque aide matérielle. Des faits, qui, selon les médecins, sont à l'origine de ses problèmes mentaux. Jalah avoue «avoir une très mauvaise mémoire», mais il ne parvient pas à oublier le viol et le meurtre de sa soeur par des militaires.

Jalah est en traitement à l'hôpital psychiatrique Ibn-Rushd de Bagdad. Il a finalement trouvé refuge auprès de l'ONG Keeping Children Alive, qui prend en charge des enfants souffrant de troubles mentaux. Mais l'ONG a été menacée. Elle risque de devoir fermer et Jalah devra trouver un autre refuge. Pour Shalan Aboudy, directeur de l'hôpital Ibn Rushd "Jalah est semblable à ces douzaines d'enfants et d'adultes qui fréquentent son service ; tous ont des troubles mentaux dus à la guerre. Tous nos patients ont le même genre d'histoire à raconter. Certains ont perdu leurs proches, des enfants sont devenus orphelins, des femmes ont été violées, des hommes ont perdu leur fiancée, quelques jours avant le mariage ». En 2006, l'hôpital comptait 14 spécialistes. Aujourd'hui, il n'en reste plus que quatre, les autres ont fui le pays.



la peur et le malheur gangrènent la société irakienne. photo Intal.

Pour Fariz Mahmoud, professeur de neurologie à l'Université de Bagdad, la raison principale de l'augmentation des troubles psychologiques est la peur. « Les gens ont peur de la violence. Ils ne supportent pas d'entendre le bruit des balles, les explosions, ou d'apprendre qu'ils ont perdu un proche. Les enfants ne supportent pas de devoir rester à la maison ou d'être des personnes déplacées... La peur est comme un cancer, elle s'empare du corps et, dans certaines situations, atteint un stade que ni les médecins, ni les médicaments ne peuvent corriger.»

Les familles déplacées sont plongées dans la précarité : chômage, travail au noir . Faire travailler les enfants est souvent une nécessité absolue. On signale un nombre croissant de cas de prostitution enfantine. Pour Essi Abdul Jabbar Mohammed, de l'ONG Iraq Institute for Strategic Studies : « Il est facile de faire des appels pour des fonds, mais comment recenser les familles les plus en détresse ? La corruption est très largement répandue ; le danger se tapit dans chaque coin de l'Irak. Depuis l'invasion US en 2003, l'Irak est devenu un état vivant de charité ; au lieu d'aller au cœur de ses problèmes, l'Irak ne fait que chercher de l'aide; de la morphine pour alléger ses problèmes.»

Le Croissant Rouge irakien, avec ses milliers de collaborateurs et de bénévoles, fait un travail remarquable, bâtissant des villages de tentes, distribuant de la nourriture, de l'eau potable et des objets de première nécessité partout en Irak. Cette aide est plus que nécessaire, car, comme l'indique un rapport récent du CRI , le pays doit faire face à «une tragédie humaine sans précédents dans son histoire»... Une tragédie généralement peu commentée par les grands medias, pourtant jamais lassés d'informer (ou de désinformer) sur les « attentats suicides » ou les activités présumées de la fantomatique organisation Al-Qaeda.

L'Irak frappé par un tsunami



A Bagdad, la population se débrouille comme elle peut. Photo Intal

Sara, une femme irakienne, déclare : « A l'époque de Saddam Hussein, on savait comment se protéger : Ne te mêle pas de politique. Maintenant, on ne sait plus comment se protéger. On peut être tué en allant au marché. L'Irak a été. frappé par un tsunami. » Yasmine Yawad est irakienne. Elle habite actuellement en Hollande. Toute sa famille proche a fui la violence en Irak, sauf son père. Elle raconte: « Je suis régulièrement en contact avec de la famille et des amis en Irak. La situation ne fait que se détériorer, à cause de l'occupation. Les mamans ont peur d'envoyer leurs enfants à l'école. Elles ont peur qu'ils soient attaqués ou voient des cadavres sur le chemin de l'école. D'ailleurs, beaucoup d'écoles ne fonctionnent que 2h ½ par jour. Les hôpitaux se détériorent. Même la classe moyenne est réduite à la pauvreté. C'est d'ailleurs ce que veut l'occupant : casser tout ce qui a été construit en Irak, ramener le pays à l'état de pays sous-développé. L'occupant a construit des murs autour des quartiers de Bagdad, des « checkpoints », comme en Israël. Les milices dont on parle tant sont souvent organisées par des gens du gouvernement, agissant pour leur compte ou en accord avec les Iraniens, les Américains ou les Israéliens. Les vraies forces de la résistance sont combattues, parfois infiltrées, mais les Américains et leurs alliés n'en viennent pas à bout. Les médias parlent souvent le même langage que l'occupant : « sunnites contre chiites », à tel point qu'un de mes cousins, habitant en Irak, reprend ce langage. Mais c'est un mensonge : dans ma famille, comme dans beaucoup de familles irakiennes, il y a des sunnites et des chiites. Nous sommes tous des Irakiens. Comment expliquer la multiplication des milices ? Dans un pays où il y a 70% de chômeurs, ce n'est pas difficile de recruter des gens... ».

«Un cadeau américain au peuple irakien»

Colette Moulaert, pédiatre, s'est rendue en Irak avec une délégation de Médecine pour le Tiers Monde durant l'invasion de 2003 : « En 2003 comme en 1991, les troupes d'invasion ont utilisé des armes à l'uranium apprauvri, ce qui cause une pollution très dangereuse, dont les effets néfastes (malformations, cancers) perdureront durant des siècles. L'armée américaine a également utilisé des bombes à sous-munitions sur des cibles civiles. Ce sont de très grosses bombes qui explosent avant d'arriver au sol, projetant autour d'elles des centaines de petites bombes sphériques. Certaines d'entre elles n'explosent pas et s'enterrent dans le sol. De nombreux enfants ont eu les mains, les pieds ou les jambes arrachés par ces bombes. ».



Les soins sont de plus en plus difficiles à prodiguer en raison de l'effondrement du système de la santé. Photo Intal.

Deux organisations irakiennes, le Monitoring Net of Human Rights in Irak et le Conservation Center of Environmental Reserves in Fallujah ont établi, en collaboration avec l'Hôpital Général de Fallujah, un rapport sur les effets de la pollution dûs à l'utilisation par les troupes américaines d'armes prohibées : bombes à sous-munitions, armes chimiques (bombes au phosphore blanc), et « armes nouvelles » non identifiées".

En 2003 et en 2004, les troupes US ont mené une attaque massive contre Fallujah (350.000 habitants). 72% des victimes ont été des enfants âgés de 1 mois à 12 ans. Le rapport signale « l'apparition anormalement élevée de nouveaux types de maladie comme des disfonctionnements de la moelle épinière, des reins, des cas de thalassémie (maladie du sang) et du syndrome de la peau couverte d'écailles,... ». Le rapport, amplement documenté montre des photos d'enfants déformés et malades et conclut par ces termes: « Fallujah est un de ces nombreux endroits actuellement pollués en Irak. Cela fait partie du cadeau américain au peuple irakien. C'est d'autant plus choquant que tout ceci est accueilli par le silence de la communauté internationale et celui des Nations Unies. »

INTAL

No comments: