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Friday, May 29, 2009

CRISE: DUBAI

Dubaï, la fin d’un rêve

Akram Belkaid
AM: Avril 2009
Dans les sables de la péninsule arabique, une famille voulait créer une nouvelle cité-monde, entre Orient et Occident. Aujourd'hui, les Maktoum luttent pour la survie financière de leur ville et pour protéger son autonomie politique.

Après l’euphorie, la gueule de bois… Sévère, douloureuse, et parfois même totalement inattendue. En 2009, après plusieurs années d’expansion vigoureuse, la croissance moyenne dans les pays du Golfe ne devrait pas dépasser les 2,5 % dans le meilleur des cas. C’est, certes, mieux que la récession qui frappe l’Europe et les États-Unis, mais c’est un net ralentissement qui pénalise la grande majorité des projets qui foisonnaient dans la région.Licenciements, faillites, hausse des taux d’intérêts, interrogations sur les capacités de remboursement de sociétés dont certaines tenaient le haut du pavé il y a peu... voilà les thèmes devenus prégnants aujourd’hui, remplaçant tous les discours à propos du boom économique impressionnant du Golfe. Honneur aux champions, le plus touché est, bien entendu, Dubaï, membre de la fédération des Émirats arabes unis. Après une décennie d’euphorie, de surenchères et d’extravagances hôtelières et touristiques, le « Hong-Vegas du Golfe », comme aimaient à le surnommer ses laudateurs, paie le prix fort. Longtemps porté par une activité de construction effrénée, la cité-État voit pratiquement tous ses chantiers tourner au ralenti ou être à l’arrêt, en raison de l’éclatement de la bulle immobilière. Même l’emblématique Burj Dubai, la tour la plus haute du monde, n’en finit pas d’être achevée.« La nuit, nombre d'immeubles de la ville sont plongés dans l’obscurité, y compris les bâtiments destinés à l’habitation. Cela accroît la sinistrose », raconte une restauratrice française qui se prépare à quitter le pays, faute d’avoir réussi à rentabiliser son établissement.Selon les dernières statistiques, le marché immobilier a perdu de 40 % à 70 % de sa valeur. La raison est simple : la spéculation effrénée a porté le marché à des valeurs jamais atteintes (une simple villa à Dubaï pouvait se vendre à plus de 5 millions de dollars). De même, de nombreux appartements ont été vendus sur plan et ont changé de propriétaires une bonne dizaine de fois, avant même les premiers travaux, avec, à chaque transaction, des hausses moyennes de 15 % de la valeur de l’actif. Certains acheteurs, qui avaient investi au plus haut de la bulle en s’endettant, ont trop tardé avant de réaliser leurs bénéfices. Ils se retrouvent dans une situation particulièrement difficile. Comme le signalait le site Arabianbusiness.com, l’un des métiers les plus demandés aujourd’hui dans l’émirat est celui de recouvreur de créances. Un chiffre en dit long sur la situation : un crédit immobilier sur quatre ne serait pas remboursable... On comprend dès lors pourquoi les grands noms de la construction à Dubaï sont surveillés comme le lait sur le feu. L’annonce, en février dernier, de la mise sous chapitre 11 (loi destinée à protéger une entreprise en faillite de ses créanciers) de la filiale américaine du groupe Emaar, a créé la consternation dans les milieux d’affaires du Golfe.Depuis, il ne se passe pas une semaine sans que des rumeurs alarmistes envoient le cours de l’action de la société au tapis. Et la contagion menace. Dans un rapport récent, la banque d’affaires koweïtienne Markaz a mis en garde contre un effondrement du marché immobilier au Qatar, l’autre pays de la région à avoir connu une activité frénétique dans la pierre. « La bulle immobilière va aussi y éclater, ce n’est qu’une question de temps », pronostique l’économiste en chef d’une grande banque d’Abou Dhabi. « Le problème, c’est que cela risque de provoquer un effet domino et emporter des sociétés de la région qui ont placé une partie de leurs avoirs dans le bâtiment.» Au Koweït, mais aussi en Arabie saoudite, les autorités demeurent vigilantes et ont pris plusieurs mesures destinées à aider les sociétés de promotion immobilière dont la faillite pourrait entraîner celle des banques. À Bahreïn, le gouvernement a décidé de venir en aide aux particuliers qui peineraient à rembourser leurs crédits, qu’ils soient immobiliers ou destinés à la consommation, tout cela dans le but de protéger la place financière de Manama, la plus importante de la région. Cette situation n’a d’ailleurs pas échappé aux agences de notation qui, lentement mais sûrement, dégradent au fil des jours les ratings des établissements financiers, banques islamiques comprises, ces dernières ayant beaucoup investi dans l’immobilier. Au total, ce sont plus de 200 milliards de dollars qui pourraient partir en fumée en cas de chute du marché dans la région. À cela s’ajoute un taux d’endettement croissant des ménages du Golfe (35 % des revenus) et un accroissement des créances d’entreprises de la région (obligations, encours bancaires) alors que 30 % d’entre elles, soit près de 90 milliards de dollars, sont déjà jugées insolvables. « Le plus ironique dans tout cela, c’est que la majorité des banques, exception faite de deux ou trois établissements à Bahreïn, n’ont pas été touchées par la crise des subprimes. Mais c’est leur trop forte exposition à l’immobilier dans la région qui les pénalise », poursuit l’économiste.
Un cadre sur quatre pourrait perdre son posteDu coup, la méfiance, attisée par la crise de liquidités – surtout dans le cas de Dubaï – se transmet d’un secteur à l’autre. Un jour, ce sont les banques qui inquiètent, le lendemain, les sociétés portuaires puis l’aviation, les télécoms puis les assurances. Rumeurs, intox, il est difficile de faire la part des choses, d’autant que les informations se font rares. Si personne ne sait jusqu’où ira la crise, ses conséquences sont d’ores et déjà visibles. Coïncidence ou non, un rigorisme religieux plus marqué vient de faire son apparition à Dubaï, alors que l’émirat était cité pour son libéralisme en matière de mœurs et d’habitudes vestimentaires. Certes, l’alcool y est toujours servi dans les hôtels, dont certains abritent encore une activité à peine dissimulée de prostitution, mais plusieurs lois ont été décrétées depuis le début de l’année, ciblant notamment les couples non mariés et interdisant aux amoureux de se tenir la main ou de s’embrasser en public, y compris pour les résidents étrangers et les touristes.Mais là n’est pas le plus important. C’est surtout la dégradation du marché du travail à Dubaï qui marque les esprits.Fawzi N., un jeune analyste financier franco-tunisien qui vient d'y passer deux ans, n’en revient toujours pas. De retour à Paris, il raconte la manière dont il vient de perdre son emploi dans un établissement financier dubaïote. « La veille d’un week-end, on nous a convoqués vers dix-sept heures. Nous étions une vingtaine et le manager, un Britannique, a désigné trois personnes en disant : “ceux-là, ils restent, les autres vous partez”. On était KO debout. On s’attendait à une charrette, mais pas à ce qu’elle soit annoncée de cette manière-là. » Des histoires de la sorte, il en circule des dizaines dans le Golfe, et surtout à Dubaï qui, pendant des années, a été le point de convergence de milliers d’expatriés attirés par le boom de la cité-État. Partout, le maître mot est layoff (licenciement). On estime à 35 000 le nombre d’emplois de cols blancs détruits depuis début 2009, et les projections pour les mois à venir ne sont guère optimistes.Selon un sondage, publié par la presse de la région, au moins un cadre sur quatre pourrait perdre son poste. L’un des signes de cette tendance est, de l’avis de nombreux résidents sur place, l’amélioration de la circulation automobile entre les deux rives du bras de mer qui traverse la ville. « Il y a moins de voitures qui circulent, et les embouteillages qui s’étaient aggravés depuis cinq ans ont baissé en intensité », se réjouit un homme d’affaires libanais installé dans la région depuis plus de trente ans. Et une bonne partie des voitures qui ne circulent plus sont, selon une rumeur tenace, garées dans le parking de l’aéroport.Licenciés, de nombreux cadres étrangers ont pris l’avion du retour en les abandonnant sur place. Là aussi, les anecdotes à propos de ces quasifuites sont légion. Ici, c’est un ingénieur qui a été licencié le matin et qui a pris un vol pour Londres le soir-même. Là, c’est un architecte qui n’a même pas pris le soin de repasser par chez lui avant d’embarquer pour la Suisse. Ces récits, difficilement vérifiables, témoignent néanmoins de l’atmosphère qui règne en ce moment à Dubaï. Et pour en comprendre les raisons, il faut savoir que tout étranger qui perd son emploi, et qui ne peut en trouver un autre dans le mois qui suit, est obligé de quitter l’émirat.
Expatriés : entre la prison et la fuiteEn janvier dernier, près de 55 000 visas de travail ont été annulés, toutes catégories de travailleurs confondus : pas de travail, pas de permis de résidence. Cette règle drastique, souvent citée en exemple par l’extrême-droite européenne, a longtemps concerné la main-d’œuvre en provenance d’Asie (Bangladesh, Pakistan ou Philippines) ou de certains pays arabes « frères » (Yemen, Égypte). Mais elle s’applique aujourd’hui aux executives, à ces cadres grassement payés, dont certains ont été débauchés de compagnies occidentales à prix d’or. Et la situation s’aggrave quand ces cadres ont contracté des dettes. « J’ai vraiment peur de ce qui pourrait m’arriver. J’ai acheté une maison ici, et si je ne peux pas rembourser le crédit, je risque la prison », a ainsi raconté une certaine Sofia à l’hebdomadaire Newsweek. Entre la prison et la fuite, nombreux sont donc ceux qui ont choisi la seconde option. Les autorités de Dubaï ont beau nier cette situation, affirmant que chaque jour, de nouveaux visas de travail sont délivrés, il n’empêche : l’absence de statistiques officielles sur les entrées et sorties de travailleurs qualifiés, mais aussi la haute médiatisation de cas dramatiques d’expatriés ayant tout perdu en un jour, font planer la suspicion autour de l’émirat. « La crise économique a révélé les aspects archaïques de sa législation dubaïote, relève un diplomate occidental. « Tant que l’économie fonctionnait, personne ne s’inquiétait du fait qu’un cadre étranger pouvait être expulsé du jour au lendemain. Désormais, pour regagner de l’« attractivité » quand la crise sera passée, il faudra que de nouvelles dispositions soient prises pour ces étrangers, dont certains ont vu leurs enfants naître à Dubaï, sans qu’aucun droit de résidence ne leur soit accordé pour autant. » Mais le modèle Dubaï subsistera-t-il encore après la crise ? La question taboue est posée.Le manque de liquidités aidant, de nombreux pans de l’économie sont renfloués par des acteurs financiers d’Abou Dhabi, l’émirat rival dont le modèle économique, moins « bling-bling », ne semble pas souffrir pour le moment de la crise. Là aussi, difficile d’obtenir des informations officielles, mais les milieux d’affaires de la région bruissent de nombreuses rumeurs. Outre les banques de Dubaï, la compagnie aérienne Emirates, le gestionnaire portuaire Dubai Ports, et le promoteur immobilier Emaar seraient en passe d’être absorbés ou contrôlés par des fonds d’Abou Dhabi. La revanche du clan Al-Nahyane sur les Al-Maktoum de Dubaï serait ainsi totale. D’ailleurs, et c’est un signe, les médias occidentaux ne parlent plus de Dubaï et n’ont d’yeux que pour Abou Dhabi. C’est dans ce pays que la France vient d’installer une base militaire qui doit être inaugurée en mai prochain par Nicolas Sarkozy. C’est là que de grands groupes français et européens ouvrent désormais leurs bureaux régionaux. Autre signe : la circulation commence à y devenir plus dense et il est devenu impossible de s’y loger. Le grand cabinet d’affaires Baker & McKenzie vient de s'y installer. Selon son directeur général, c’est le seul endroit de la région où la marge de progression des affaires affiche un taux supérieur à 10 % par an.« Il ne fait aucun doute que des entreprises de Dubaï sont en train de passer sous le contrôle financier d’Abou Dhabi, notamment le fonds public Mubadala, mais aussi plusieurs banques et entreprises para-publiques », relève l’économiste égyptien Marwan Rasheed. Mais ce dernier insiste sur un autre phénomène, bien plus important à ses yeux. En volant au secours des finances de Dubaï, elles aussi frappées par la crise de liquidités et une réticence certaine des grandes banques internationales à financer les projets lancés par les Al-Maktoum, Abou Dhabi vient d’étendre encore plus sa domination sur son voisin. Ainsi, c’est toute l’autonomie de Dubaï en matière de régulation financière et boursière qui est en train de disparaître au profit de la réglementation fédérale. « Abou Dhabi œuvre patiemment à la consolidation d’un pouvoir fédéral fort dont ils détiendrait la majorités des clés, en raison de sa puissance financière », poursuit l’économiste qui est convaincu que la « bulle Dubaï » n’est pas prête à renaître. Cette dernière aura duré plus de quinze ans. Le temps d’attirer l’attention sur cette région du monde et avant, peut-être, de passer le relais à Abou Dhabi, qui devient désormais la nouvelle frontière du Golfe.Reste à savoir comment s’articulera ce basculement du pouvoir, ou plutôt, cette concentration du pouvoir entre les mains des dirigeants d’Abou Dhabi. Pour l’économiste Marwan Rasheed, « Dubaï va demeurer un pôle économique important, mais son développement va de plus en plus dépendre du bon vouloir d’Abou Dhabi, alors que, jusqu’à présent, ses initiatives étaient plutôt autonomes. » Pour cet expert, la coexistence entre entreprises concurrentes d’Abou Dhabi et de Dubaï va clairement se poser dans les prochains mois. « Dans le cas du transport aérien, je n’imagine pas que telle ou telle compagnie disparaisse, mais il ne faut pas exclure une fusion entre Emirates et Etihad. À chaque fois qu’il y aura doublon, et que des capitaux d’Abou Dhabi auront été utilisés pour renflouer la société dubaïote, il y aura fusion ou absorption. »
Par Akram Belkaïd
http://www.afriquemagazine.com/article/article.asp?id_article=1164406828125/

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