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Sunday, February 06, 2011

L'ami Ben Ali!

Invitation en villégia-dictature !

Je ne suis pas le seul à m'étonner que nos donneurs de leçon professionnels, démocrates épileptiques quand il s'agit de taper sur l'Iran ou Cuba, soient plus muets qu'un bassin de carpes concernant les révolutions à l'œuvre en Tunisie ou en Egypte. Ainsi le philosophe slovène Slavoj Zizek fustige (voir Libération de jeudi) « l'hypocrisie des libéraux occidentaux » qui se disent « inquiets » quand des peuples arabes se soulèvent contre leurs tyrans.


Jérémiades
Et pendant ce temps-là, que nous dit notre grincheux et rébarbatif philosophe Alain Finkielkraut qui ferait passer Jérémie, l'auteur des bibliques lamentations, pour un animateur de Club Med ? Qu'il faut se méfier de l'islamisme rampant, grimpant, infiltrant, asphyxiant. Que de vraies figures de démocrates dissidents, comme il y avait dans les pays de l'Est, n'existent pas en Egypte. Et ne lui parlez surtout pas de Mohamed el-Baradei, pourtant prix Nobel de la Paix en 2006. L'ancien directeur de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) est accusé ((Libération de jeudi) d'avoir minimisé le programme nucléaire iranien. Pire : « d'avoir parlé des frères musulmans comme de simples conservateurs comparables aux islamistes turcs de l'AKP ». Et encore ? Qu'il faut se méfier des islamistes turcs car ils se sont rapprochés de l'Iran. Car l'Iran n'est pas moins que le Diable absolu pour notre nouveau Torquemada de l'im-pensée !


D'où parlez-vous ?
Tout cela ne serait pas si grave si Finkielkraut n'était pas omniprésent sur les ondes. Le grandiloquent Bernard-Henri Lévy dans son bloc-notes du Point a du mal lui-aussi à exprimer son enthousiasme sur ce qui se passe en Egypte. Lui, l'inventeur du blanc et du noir, du jour et de la nuit, l'œil éternel dans la tombe, reste soudain plus indécis que le col ouvert de sa chemise où se perd sa gazeuse pensée. On le sentait moins prudent naguère quand il s'agissait de faire sa propagande pour les islamistes du Kosovo ou de Bosnie !
Tout cela ne serait pas si grave si le Bernard en question n'était pas au comité de surveillance de Libération, du Monde, éditorialiste au Point, invité permanent sur la Une, France 2, France 3, Canal + et j'en passe. Il ne doit y avoir que sur la Lune ou Mars (et encore je n'en suis pas sûr) que le philosophe ne délivre pas ses oracles comme on prescrit des suppositoires !
Comme toujours, il faut se demander ce qui fait agir et réagir les uns et les autres. « D'où parlez-vous ? » demandaient naguère les intellos soixante-huitards qui avaient lu Marx et Freud ?
Concernant nos philosophes français cités, pas besoin de chercher bien loin. Le tropisme pro-israélien de Bernard-Henry Lévy et de Alain Finkielkraut n'est plus à démontrer. Ils ressentent donc ce que ressent le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou qui à tout fait pour que les Américains ne lâchent pas Moubarak. D'où le commentaire de Slavoj Zizek : « Israël fait tomber le masque de l'hypocrisie démocratique en soutenant ouvertement Moubarak ». Zizek n'est pas le seul à le penser. Le dessin ci-dessous de Willem, dans Libération de mercredi dernier, illustre la même chose .


En un coup de crayon, le dessinateur de Libération Willem a très bien montré l'amour que porte le premier ministre israélien à la libération des peuples arabes...


L'ami Ben Ali
Ces révolutions qui affolent certains de nos intellectuels affolent également nos politiques. C'est que depuis la décolonisation, un certain nombre d'habitudes ont été prises. Certains de nos pieds-noirs, qui ont su garder un pied douillet au pays d'origine, n'ont surtout pas envie de perdre le confort acquis au cours des années. On parlait récemment de notre ami Delanoë qui dispose d'une petite maison en Tunisie. Ou de Claude Bartolone, l'autre mousquetaire de la bande des « Tuns » autrement dit des « Tunisiens »….
On pourrait rajouter ceux qui aiment égayer leurs sens sous les palmiers tel Frédéric Mitterrand qui ma foi a toujours eu le goût des palais royaux et des mondanités. N'a-t-il pas reçu en cadeau la nationalité tunisienne ? Dominique Strauss-Kahn, au tropisme plutôt marocain, n'a pas moins été heureux d'être distingué des mains du président Ben Ali lors d'un voyage de FMiste en Tunisie. Qui a dit que la patron du FMI n'était pas de gauche ?
On comprend que Michèle Alliot-Marie n'ait pas très bien compris qu'on vienne lui chercher noise sur ce qui semble aller de source quand on fait partie du haut du panier et qu'on va en villégiature sous le palmier. Elle allait se détendre les orteils en Tunisie avec son copain-ministre Ollier quand une fois sur place on lui a aimablement proposé une jet privé pour s'éviter de faire deux heures de route. Qu'auriez-vous fait à sa place ? Bon, elle n'est pas la seule à l'avoir fait. Son collègue Hervé Novelli, nous dit le Canard enchaîné, « ne refusait pas à l'occasion une escapade tous frais payés en Tunisie ». Il ajoute : « En octobre 2008, alors sous-ministre du tourisme, Novelli s'était rendu à Zarzis pour décorer le dénommé Hosni Djemmali (NDLR : affairiste proche de Ben Ali) fait chevalier de la légion d'honneur par ses soins. » Comme on le voit, notre légion d'honneur ne pourrait pas être mieux employée !


Invitation au Voyage
Alors, à force de tiédeurs, de langueurs, de douceurs, on comprend très bien qu'il ne soit pas toujours facile de parler de droits de l'Homme et de démocratie. Essayez de causer droits de l'Homme quand vous avez un canapé de foie gras dans la bouche et un verre de champagne à la main ! Les vexations, les tortures, la corruption, la pauvreté ne vont pas avec un ciel bleu, une mer étale, des palmiers. Forcément, il ne saurait y avoir de nuages noirs dans une carte postale.


Rappelez vous Baudelaire et son « Invitation au voyage » !

« Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. »


Et on voudrait remettre en question cette idyllique vision ? C'est comme pour la décoration d'un appartement, il y a des fautes de goût qu'il ne faut pas commettre. Et les vrais pros ne les commettent jamais. Mitterrand (François) quand il allait jadis en Egypte au frais du prince Moubarak, n'y allait pas pour les droits de l'Homme mais pour les Pyramides. Comme ça il avait l'impression que comparés aux esclaves de l'Antiquité qui se charriaient les grosses pierres, les Egyptiens d'aujourd'hui n'étaient pas si malheureux. Chirac (Jacques) n'a jamais manqué d'honorer une invitation dans tous les pays où il fait chaud et où l'on sue du burnous. Sarkozy (Nicolas) a apprécié à son tour les charmes de l'hospitalité égyptienne sans se croire obligé une fois sur place de réciter son discours de campagne : « A tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies, par les dictatures […] je veux leur dire que le devoir de la France sera d'être à leur côté ».


L'alibi de l'islamisme
Mais je m'en voudrais de montrer du doigt les seuls politiques en oubliant certains journalistes avides de privautés. Lors du grand raout en Tunisie où Novelli remettait sa légion d'honneur, était présent nous dit le Canard enchaîné le grand crocodile Etienne Mougeotte qui a sévi durant sa carrière partout où l'on pouvait sévir, et qui sévit aujourd'hui au Figaro où il fait la pub gratuite pour la Tunisie en distribuant chaque trimestre avec son canard le magazine « Tunisie plus » du fameux Djemmali dont nous venons de parler. Le Canard cite également Christian Villeneuve à l'époque patron du Journal du dimanche, ou François D'orcival dont on comprend mieux ses « Valeurs actuelles ».
Cette alliance de fait entre politiques et journalistes est malheureusement préjudiciable et aux politiques et aux journalistes ! Comment veut-on que les citoyens ne se méfient pas ensuite ? Et puis je me pose quand même une question. Quand je vois Le Point de cette semaine brandir une fois encore la menace de l'islamisme à sa une, je me demande si ce n'est pas pour nous faire regarder ailleurs pendant que tout ce petit monde continue ses petites affaires. De Baudelaire toujours :

« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur,
D'aller là-bas, vivre ensemble ! »


Bruno Testa
btesta@journal-lunion.fr
http://www.lunion.presse.fr/article/economie-region/invitation-en-villegia-dictature/

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