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Monday, February 07, 2011

Les révolutions arabes et....

Révolutions arabes, insuffisances de « l’Islam médian et impasses islamologiques.

par Dadek Sellam

7/01/2011

Tareq Ramadan sur les traces de Malek Chebel ?


Interrogé le 2 février à 7h50 sur France 2 sur le gigantesque mouvement de protestation en Egypte, T. Ramadan répond en parlant de lui-même. Pour expliquer une révolution qu’aucun analyste, politiste, islamologue n’avait prévu, il raconte son dernier séjour au Caire qui remonte à …16 ans. Il a vu la police tabasser un passant devant lui. Ce fait divers lui semble plus important que la charge des « baltagis » qui, à pieds, à cheval ou à dos de chameau, ont blessé des centaines de manifestants de la place Tahrir, dont beaucoup succombèrent à leurs blessures. Ce n’est pas par compassion pour ce passant que T. Ramadan a insisté lourdement sur cet incident. S’il lui accorde plus d’importance qu’aux centaines de victimes de Maydan Tahrir, c’est parce qu’il reste persuadé que c’est lui qui était visé par la police. A l’entendre, les Mabahih auraient cherché à lui donner un avertissement en rossant devant lui un inconnu choisi uniquement parce qu’il passait devant lui ! Cette explication laisse sceptique tous ceux qui se souviennent qu’à cette période, T. Ramadan sortait à peine de l’anonymat avec l’aide discrète d’un politiste islamisant qui voulait lui assigner le rôle d’ « informateur indigène »(E. Saïd).
Pourquoi T. Ramadan a-t-il tendance, par ces contorsions, à accorder plus d’importance à sa personne qu’à la Révolution égyptienne ? On peut déduire des éléments de réponse à cette question de son audition devant la « mission Gérin » sur la burqa. Dans cette intervention devant les députés, il s’est mis dans la même situation que Dalil Boubakeur (qui a lui aussi beaucoup parlé de lui-même), Mohamed Moussaoui (« le port de la burqa n’est pas dans le Coran ; il est le fait d’une minorité ») et même Chemseddine Hafiz (qui a promis à Gérin une « collaboration totale »). Malgré quelques précautions oratoires, ils ont tous donné leur aval, tacitement, à la loi anti-burqa. Ils étaient pleinement satisfaits d’être pris pour une autorité religieuse par Eric Raoult et François Myard. Aucun ne s’est avisé de s’interroger sur la singulière conception de la laïcité qu’avait Gérin en proposant de les « associer à la rédaction du projet de loi ». Seul Anouar Kebibech a eu l’intelligence de rappeler que selon le Coran « il n’y a pas de contrainte en religion ».

Mais T. Ramadan a tenu quand même à marquer sa différence par rapport à ces « bureaucrates de la foi » qui doivent tout à l’administration et n’osent jamais la contrarier. Il s’est attribué le pouvoir magique de convaincre les jeunes femmes salafistes d’ôter le niqab en leur commentant un texte de Nacerdine al Albani (prononcé à la manière des chroniqueurs religieux et des islamologues non-arabisants). Dans cette mémorable intervention qui renseigne surtout sur la psychologie des profondeurs de son auteur, T. Ramadan a reproché aux députés de continuer de traiter des questions de l’Islam sans tenir compte de ce qu’il intitule pompeusement une « révolution théologique ». Pour aider ses interlocuteurs à suivre son regard, il précise que cette « révolution » a commencé « il y a 25 ans ». Autrement dit les débuts de ce bouleversement du paysage islamique mondial dateraient de ses premières réunions avec des jeunes musulmans de banlieue abandonnés à leur sort par la « bande des quatre » (mosquée de Paris, FNMF, UOIF, Tabligh). La rareté du savoir prodigué par T. Ramadan était attestée par sa cherté : depuis le début, ces jeunes chômeurs n’étaient admis à écouter les thèmes de cette « Révolution » qu’après avoir contribué à la constitution du trésor de guerre verbale du jeune prédicateur. Ses premiers succès s’expliquaient par un français moins bâclé que celui du cheikh Larbi Kéchat, que le chroniquer religieux du Monde, au vu de ses résumés en français de la khotba, présentait comme « le « recteur » qui sait parler aux jeunes ».
C’est en raison de cette idée qu’il se fait de son rôle quasi-messianique que T. Ramadan croit devoir s’attribuer plus d’importance à lui-même qu’aux huit millions d’Egyptiens bravant les baltagis déployés par Omar Souleiman, avec l’aide d’Israël. Selon cette singulière grille de lecture des événements en fonction d’un ego surdimensionné, la Révolution égyptienne en cours serait un épiphénomène par rapport à la supposée « révolution théologique » commencée il y a un quart de siècle par un commentaire didactique des cinq piliers de l’Islam.

L’égocentrisme de T. Ramadan rappelle celui du non moins narcissique Malek Chebel qui, en réponse à n’importe quelle question, se contente de parler surtout de …lui-même. C’est ce qu’il fait régulièrement sur la « Direct » où, à une question sur les premières manifestations de protestation contre la guerre à Gaza, en janvier 2009, il a répondu finement : « la France vient d’échapper au pire. Vous savez que je suis un « musulman modéré ». Après ces manifestations, je me sens seul… ». Autrement dit les 6 millions de musulmans de France (déjà coupables de ne pas s’intéresser à la prose de l’ex-psychanalyste) se seraient « radicalisés » uniquement parce qu’ils ont osé dénoncer les massacres d’enfants palestiniens par l’aviation israélienne, que cette coqueluche des médias n’a pas eu le courage de condamner, juste pour pouvoir continuer à intervenir sur une chaîne qui se contentait de reprendre les images de la télévision israélienne. Cette guerre a été condamnée par des centaines de milliers de manifestants dont T. Ramadan a soigneusement évité de faire partie. Lui qui s’attribue une influence n’a pas encouragé ceux qui l’écoutent encore à manifester. Il préfère s’arranger pour passer à la télévision où il laisse le soin aux journalistes complaisants de le présenter comme le porte-parole des manifestants…
M. Chebel a montré un manque de modestie comparable à celui de T. Ramadan en prétendant remédier aux malaises des banlieues par sa traduction littérale du Coran. Cette prétention d’apporter une solution exclusivement idéologique à des problèmes qui ont des origines économiques, sociales et culturelles est une approbation tacite de la thèse audacieuse par laquelle Finkelkrault qui retient une explication monocausale de ces crises en décidant tous les apports de la sociologie des mécontentements. Cet autre idéologue impute au seul Coran la révolte des banlieues. Avec l’accord de musulmans de service avides de médiatisation, Finkelkrault a cru devoir expliquer la totalité des problèmes des banlieues par le « racisme anti-blanc », en refusant tout net de tenir compte de l’échec scolaire, des mauvaises conditions de logement, du chômage… Si on comprend bien, ces « populations », sous prétexte qu’elles se réfèrent encore à un Livre du VIIeme siècle, ne mériteraient pas qu’on ait recours aux apports des sciences sociales modernes pour expliquer leurs comportements individuels et leurs conduites collectives. Le philosophe médiatique sait-il qu’il ne fait que confirmer les thèses d’Edward Saïd à propos de l’orientalisme colonial ? Mais Saïd ne pouvait pas prévoir l’avènement d’auteurs qui s’emploient, comme M. Chebel, à apporter une caution directe ou implicite à cette forme d’ « orientalisme » néo-colonial.

Conscient des insuffisances de cette traduction bâclée, le nouveau traducteur du Coran a vainement cherché à faire cautionner sa traduction, via l’ambassade d’Algérie à Paris, par le Haut Conseil Islamique d’Alger. Mais cette instance n’a pas fourni le satisfecit promis à l’éditeur parce que ses membres étaient sidérés le nombre très élevé d’erreurs parfois grossières.
Tout en insistant lourdement sur sa qualité de « citoyen suisse », T. Ramadan a néanmoins marqué sa solidarité avec les Frères Musulmans égyptiens auxquels il doit sa médiatisation. Pour mieux convaincre de leur pacifisme et de leur attachement à la démocratie, il a cru bon de les opposer aux « islamistes algériens » qui, à l’entendre, auraient cherché à utiliser les élections pour mettre fin à la démocratie !!!
Même les chantres algériens de « l’éradication » n’ont jamais osé formuler de façon aussi simpliste (et inexacte) les chicayas adressées au FIS, à qui ils reprochent surtout d’avoir gagné les élections du 26 décembre 1991. Le commentateur approximatif croyait bien faire en procédant, à la manière de certains chefs de file d’Ennahda, aux rituelles comparaisons entre ses islamistes préférés et l’AKP turc qui a su effectivement évoluer pour devenir un parti de type « musulman-démocrate ». Si T. Ramadan s’était donné la peine d’approfondir sa connaissance de la situation en Algérie, il aurait entendu parler d’un certain Abdelkader Hachani qui a amené le FIS à participer aux élections et à les gagner. Le chef du FIS était en train de faire du FIS un parti musulman-démocrate en mesure d’exercer le pouvoir après avoir gagné les élections, alors qu’ailleurs, des formations islamistes s’étaient imposées par des mouvements de rue (Iran), après une lutte armée (Afghanistan) ou à la suite d’un coup d’Etat militaire (Soudan). Si le goût du prédicateur pour la précision avait été comparable à son besoin maladif de médiatisation, il aurait appris que Hachani se concertait avec Abdelhamid Mehri et Hocine Aït Ahmed et s’était engagé à respecter la Constitution de mars 1989, qui n’était pas celle d’une « République Islamique ». Et quand Aït Ahmed a été approché par le général-major Nezzar pour le convaincre de présider le futur Haut Comité d’Etat, le chef du FFS a informé Hachani des intentions pustchistes des éradicateurs en le mettant en garde contre tout recours à la violence qui arrangerait ces singuliers « Républicains » opposés à tout changement de régime et affichant leur hostilité aux élections uniquement par ce qu’ils les perdent. Leur rhétorique se fondait sur des subtilités byzantines comme celle, reprise hélas par des médias occidentaux complaisants, consistant à distinguer le processus démocratique et le processus électoral. T. Ramadan aurait pu savoir que Hachani a écouté religieusement Aït Ahmed, puisque son dernier communiqué ordonnait à ses troupes de résister, à la manière de Gandhi, par « le jeûne et la prière ». C’est ce qui lui valut d’être arrêté par un pouvoir qui préférait les islamistes enclins à passer de la violence verbale dans les mosquées à la lutte armée dans les djebels. Pour être resté attaché à cette ligne de conduite après avoir purgé cinq ans de prison, cet authentique démocrate musulman a été assassiné. On sait maintenant que son assassinat a été commandité par une officine qu’indisposaient ses interrogations sur les contenus de la « trêve » avec l’AIS et même sur les conditions douteuses de la création de celle-ci. Pour avoir refusé de ratifier cette trêve destinée à saboter les négociations avec les politiques du FIS, le président Zéroual a été poussé vers la sortie par ceux-là mêmes qui injurièrent et bousculèrent le président Chadli. S’il n’y avait pas eu l’interruption brutale des élections (qui aurait sans doute été impossible sans la bénédiction de F. Mitterrand), Hachani aurait fait en Algérie ce que Erdogan fera en Turquie dix ans plus tard.
Ce sont les campagnes inouïes de propagande orchestrées à partir de 1992 par des officines budgétivores d’ « Action psychologique » pernicieuse qui ont accrédité le mythe des dictatures « rempart contre l’intégrisme ». Pour avoir cru à ce mythe, pendant trop longtemps, la diplomatie kouchnerienne est mise en porte-à-faux par les révolutions tunisienne et égyptienne et accuse déjà un sérieux retard par rapport à la politique américaine dans la région. Car Obama semble décidé à traduire dans les faits les appels lancés au monde musulman d’Ankara puis du Caire.

Mais T. Ramadan ne semble pas persuadé de ce changement dans les faits. Il persiste à asséner les mêmes lieux communs à l’intention des journalistes encore attachés à ce mythe, qu’il caresse dans le sens du poil juste pour qu’ils continuent à l’inviter. Ce faisant, il apporte, consciemment ou inconsciemment, de l’eau au moulin des diplomaties occidentales qui préfèrent des pouvoirs policiers et corrompus à ceux qui gagnent les élections. L’écrivain Abdelhaï Taya a qualifié de « fiction » cet argument spécieux et néanmoins invoqué depuis vingt ans. Les interventions de cet auteur sont infiniment plus pertinentes que les poncifs que T. Ramadan répète, avec la théâtralité qui est lui est coutumière.
C’est parce qu’il a décidé de faire de la médiatisation un choix stratégique que T. Ramadan s’accommode de toute sorte d’approximations. Sur l’Algérie, ces approximations deviennent souvent des inexactitudes. On s’en est aperçu en l’écoutant donner des gages de « modération » au cours d’une réunion organisée par une association islamo-chrétienne qui voulait lui donner l’occasion de remédier aux effets néfastes pour son image de sa participation à une émission avec N. Sarkozy dont il aura surtout servi les desseins électoraux. Outre la piètre réponse sur la lapidation (au lieu de rappeler que cette peine n’est pas coranique, Ramadan a cru bon de proposer un « moratoire » !), il a donné l’occasion à Sarkozy de renvoyer dos-à-dos Le Pen et le loquace prédicateur, en se glorifiant d’avoir le courage de débattre avec eux et d’avoir réussi à « débusquer » le télé-islamologue. Ramadan a aggravé son cas en montrant au cours de cette réunion qu’il confondait la lapidation avec la flagellation. Il a surtout tenu à rappeler qu’il avait condamné le « FIS » en octobre…1988 ! Or, ce parti n’a été créé qu’après le changement de Constitution, en mars 1989 ! Et tout le monde savait alors que les islamistes algériens (à qui on a fait croire au « complot communiste ») ont joué un rôle modérateur dans les troubles d’octobre 1988, qui furent le fruit d’une manipulation. Il serait fastidieux de recenser par ailleurs les grossières erreurs commises sur les cheikhs Ben Badis et Brahimi dans le livre où T. Ramadan n’est pas loin de faire de son grand-père Hassan al Banna le deuxième personnage de toute l’histoire de l’Islam, après le Prophète. Pour mieux connaître le sens de l’action du fondateur des Frères Musulmans, les passages sobres et concis que lui a consacrés Malek Bennabi dans « Vocation de l’Islam » restent plus utiles que toute la prose répétitive de son petit-fils dont les paragraphes empruntés à Henri Laoust demeurent les plus intéressants.
Si Malek Chebel avait continué à faire de la psychanalyse, au lieu de venir le concurrencer dans la « télé-islamologie », il aurait conclu que l’inconscient de T. Ramadan a des problèmes avec l’Algérie. Ces problèmes viennent de ses regrets concernant la forte proportion d’Algériens parmi les jeunes Français musulmans dont il a essayé d’être le porte-parole autoproclamé. Une telle conclusion a été suggérée par la colère d’une politiste islamisante d’Aix-en Provence qui, lorsqu’elle était encore une fervente admiratrice de T. Ramadan, a déploré à haute voix que la majorité des jeunes musulmans de France soit d’origine algérienne ! Elle avait l’air de dire que s’ils avaient été d’origine égyptienne, son champion aurait pu être admis au CFCM comme leur représentant naturel. C’était la période où la Ligue de l’Enseignement, le père Delorme et ce genre de politistes islamisants se dépensaient en « chaouchages » pour faire de leur admiré orateur un interlocuteur privilégié du ministre de l’Intérieur. Mais c’était compter sans le véto de Fouad Alaoui qui, grisé par les soutiens officiels et la normalisation avec le CRIF, trancha sentencieusement le débat sur les « personnalités qualifiées » : « On peut les admettre à condition qu’ils n’aient pas le droit de vote !!! »
Les regrets de T. Ramadan sont devenus d’autant plus profonds que ces jeunes qui avaient admiré son verbe à l’âge de vingt ans s’en éloignent au fur et à mesure qu’ils murissent et s’instruisent. Leur évolution leur fait découvrir la malléabilité de leur ancien champion qui passe allègrement de la défense des « Ahl sunna wa al djama’a » à l’apologie des « Ahl al Bayt », sur la base du montant des cachets d’une chaîne chiite qui lui a ouvert momentanément son antenne. Ces jeunes qui le défendaient mordicus, en agressant parfois ceux qui osaient parler de ses insuffisances théologiques, en sont arrivés à déplorer son incapacité à dire « Allahou a’alam » quand, en voulant montrer qu’il peut répondre à toutes les questions, il commet des erreurs dignes de M. Chebel. Beaucoup sont à présent persuadés que la fameuse « Révolution théologique » n’existe que dans l’imaginaire de cet ex-futur grand islamologue qui a sacrifié la scientificité des études islamiques et la rigueur intellectuelle à la course éperdue pour la médiatisation.
Cette désaffection fut aggravée quand, avec un remarquable sans-gêne, T. Ramadan s’est autoproclamé porte-parole des « jeunes musulmans » auprès des altermondialistes. Ceux-ci ressentaient confusément que leur idéologie a des points communs avec l’Islam. Mais ils ne se sont avisés que tardivement de distinguer les militants sincères et les spécialistes de l’entrisme. Cela faisait des années que des jeunes musulmanes voilées, qui n’avaient jamais entendu parler de T. Ramadan, affrétaient des bus pour aller soutenir José Bové dans le Larzac. L’orateur ignorait ces déplacements, parce qu’il voulait se faire connaître à l’extérieur, où ses palinodies lui valurent quelques déboires. Ce fut le cas aux Iles Maldives où l’association qui l’avait invité l’a épinglé sur son site Internet, après l’avoir entendu recommander à ses auditeurs d’accorder plus d’importance à la citoyenneté qu’à la foi. Ses déplacements l’amenaient souvent au Soudan où Hassan Tourabi manifestait un certain intérêt pour ses premières tentatives d’Ijtihad. Mais, par leur caractère révolutionnaire, les dernières fetwa de Tourabi font passer T. Ramadan pour un conservateur fixiste n’osant envisager des adaptations de la Chartia qu’avec timidité. A présent, T. Ramadan semble faire partie des anciens bénéficiaires des soutiens de Tourabi, mais qui l’évitent depuis qu’il n’est plus au pouvoir…
Quand il a entendu parler des déplacements des musulmanes voilées dans le Larzac, T. Ramadan s’est précipité chez les organisateurs du Forum Social et a réussi à s’autoproclamer, une fois de plus, porte-parole des altermondialistes musulmans ! Aux dernières nouvelles, il a promis à Francis Lalanne de convaincre les « jeunes musulmans » de voter pour lui. Comment T. Ramadan peut-il croire aux chances de ce candidat certes sympathique, mais ultra-marginal, et décider dans le même temps que M. Bradei (pourtant soutenu par les Frères Musulmans) aurait une audience aussi faible que celle d’Ayman Nour ?
Alerté, un ancien responsable du Secrétariat de l’Eglise pour les relations avec l’Islam, qui croit encore que Ramadan a une influence électorale, lui a recommandé de se mettre au service du dépositaire du sigle « UDF », Hervé de Charrette.
Mais, après s’être détournés de l’UMP(au plus tard après le débat sur « l’identité nationale ») tout en gardant une aversion pour le PS, les jeunes qui entretiennent avec lui une relation de type néo-maraboutique semblent intéressés par Dominique de Villepin, et sont déroutés par ses pourparlers avec l’entourage de F. Lalanne.

Au début de sa prédication, T. Ramadan semblait avoir un intéressant projet de renouvellement des études islamiques. Mais il s’est arrêté au milieu du gué pour céder à la tentation de la politique. Son évolution n’est pas sans rappeler celle des Frères Musulmans du début des années 50. Leur glissement vers la « boulitique » leur valut de sévères reproches de Malek Bennabi qui déplorait d’autant plus ce travers qu’il voyait en Hassan al Banna l’artisan d’une véritable régénérescence de la société musulmane qui ne soit pas réductible à la seule politique. C’est pourquoi le grand penseur musulman (le plus grand de l’islam contemporain, selon Benoist-Méchin) a fait de Hassan al Banna un portrait extrêmement élogieux, que son petit-fils lui-même n’est pas en mesure d’écrire. T. Ramadan semble s’être laissé fasciner par la politique après l’illusion créée par l’affluence à ses premières réunions. Il semble croire que l’intérêt de ses auditoires pour des citations de H. al Banna, commentées par des formules empruntées à H. Laoust, allait les rendre obéissants à ses consignes de vote plus ou moins discrètes. Il s’est mis à s’auto-attribuer une influence électorale difficilement mesurable dans les faits, et comptait devenir l’interlocuteur des hommes politiques intéressés par le « vote musulman ». Si c’était vrai, cela aurait fait de lui un personnage plus important que les « grands caïds » du CFCM.

A l’émission du 2 février T. Ramadan était manifestement gêné aux entournures. Il était difficile en effet d’expliquer une Révolution avec pertinence, après avoir donné sans cesse des gages de « modération » en répétant depuis 25 ans qu’il est « réformiste ». La prétendue « Révolution théologique » a visiblement du mal à avoir pour pendant le soutien sans ambages aux révolutions populaires sans zaïms connus qui inquiètent tant les establishments arabes et leurs partenaires européens qui les préfèrent de loin aux pouvoirs bénéficiant de légitimité populaire. Il était encore plus malaisé à celui qui a collaboré avec une officine anti-islamiste mise en place par Tony Blair (qui a participé à la destruction de l’Irak avec une âme de croisé) d’avoir des commentaires pertinents sur une révolution qui, contrairement aux apparences, n’est bien vue ni par le gouvernement britannique, ni par l’émir du Qatar à l’indulgence duquel T. Ramadan doit son enseignement à Oxford beaucoup plus qu’à l’approbation du Conseil scientifique de cette université.
L’irruption de T. Ramadan dans le paysage islamique français a eu lieu quand le champ était occupé par une sorte de « césaro-papisme » : d’intéressantes notations de sociologie religieuse apportée par les premiers travaux de J. Cesari amalgamées avec l’irénisme islamo-chrétien des « papistes » du Secrétariat de l’Eglise pour les Relations avec l’Islam. T. Ramadan y a ajouté un discours normatif tiré de l’enseignement de Hassan al Banna, dont la totalité de l’œuvre reste encore à rassembler, et des emprunts aux analyses doctrinales d’Henri Laoust. Il croit pouvoir appeler « Révolution théologique » le réemploi de ces discours juxtaposés.
La pratique religieuse des musulmans en Europe a été une « surprise » en raison notamment de l’illusion assimilationniste. L’islamologie a cru s’adapter à cette nouvelle donne en se « politisant ». En n’étudiant que les courants radicaux, elle a contribué à un mythe qui a égaré les esprits pendant plus d’un quart de siècle et cautionné les soutiens aux dictatures par crainte des islamistes. Les Révolutions arabes en cours ont « surpris » et les politiques et les chercheurs qui croyaient les peuples arabes totalement réduits au silence par des potentats prétendant les déposséder de leurs richesses et de leurs libertés pour les exclure de leur propre histoire. La prise en charge scientifique de ces bouleversements requiert un effort de conceptualisation qui aille au-delà du « césaro-papisme » et des répétitions des politistes islamisants qui se contentent d’études désincarnées sur les seuls courants islamistes radicaux, en les détachant de leurs contextes, dans le but non dissimulé de rentabiliser les peurs.
Pour pouvoir participer à cet effort de rupture avec les discours routiniers de « l’Islam médian » de façon à contribuer à sortir des impasses islamologiques dont la diplomatie française fait en ce moment les frais, T. Ramadan devrait résister davantage à la tentation politicienne et prendre du recul avec les médias. Pour cela, il gagnerait à méditer, de préférence avec une humilité qui ne lui était hélas pas coutumière, cette précieuse réflexion du regretté Pierre Bourdieu dans une interview accordée au journal la Croix à une période où bon nombre de chercheurs se déterminaient en fonction des impératifs médiatiques : « On peut juger de la qualité d’un chercheur selon sa capacité à dire non aux médias » quand il le faut.
Il va sans dire que la plupart des autres apprentis-réformateurs de l’Islam ont les travers reprochés ici à T. Ramadan. Mais sur les révolutions arabes, ces autres orateurs ont été d’une discrétion remarquée. Sans doute parce qu’en se contentant de réduire la totalité des problèmes de l’Islam en France à une dénonciation permanente de l’islamisme, ils acceptent de s’en remettre, sur les questions internationales, aux discours musclés, caricaturaux et parfois indigents comme ceux d’Alexandre Adler ou d’Antoine Sfeir. L’ex-chroniqueur au Monde passé sans état d’âme au Figaro, à la faveur d’un changement de majorité, devrait normalement se livrer à un déchirant examen de conscience. Mais les jugements à l’emporte-pièce sur les islamistes algériens de T. Ramadan qui, se glorifie pourtant de croiser le fer avec lui au sujet de Gaza, lui permettent de faire semblant d’avoir encore raison. Quant au directeur des Cahiers de l’Orient, pourtant habitué à assumer avec aplomb son manque chronique d’impartialité, il éprouve visiblement du mal à dissimuler son embarras, en ayant conscience des inconvénients du livre (subventionné ?) où il s’est fait le thuriféraire de Ben Ali, avec moins de discrétion que l’historienne-idéologue Lucette Valensi.
Quant à l’émission islamique hebdomadaire de France 2, elle est directement concernée par la révolution tunisienne, en raison de la collaboration d’une journaliste très proche du clan Ben Ali. C’est ce qui explique l’enregistrement en Tunisie d’un grand nombre d’émissions à caractère plus touristique que religieux.
La révolution tunisienne pose également un sérieux problème à « l’Institut » Ghazali où les langues se délient au sujet des liens d’un de ses responsables avec des officines benalistes plus intéressées par le renseignement que par l’enseignement.

Sadek SELLAM


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