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Tuesday, March 13, 2012

Qui se souvient du Bahrein?


100 000 manifestants au Bahrein : un printemps chasse l’autre

Par Louis Denghien, le 12 mars 2012

Nous vous entretenons régulièrement des événements en cours au Bahreïn. Parce qu’ils ont une dimension géostratégique évidente, car c’est comme un front intérieur qui s’ouvre chez l’ »ennemi » pétro-monarchique. Une dimension morale aussi : la révolte chiite au Bahreïn est une sacrée pierre  dans le jardin des monarchies du Golfe qui dénoncent la répression en Syrie, et ont tout fait pour pousser Bachar vers la sortie, et le remplacer par des islamistes sunnites. Or, la révolte populaire menace aujourd’hui le Bahrein, un allié et un voisin du Qatar et de l’Arabie Séoudite, qui peuvent se trouver très rapidement menacés, eux aussi, par un nouveau printemps, ou un été, arabe (voir notre article « Et pendant ce temps-là au Bahrein, mis en ligne le 17 février).
Contestation d’une ampleur sans précédent
Car, depuis quelques semaines, et un an après le « Printemps de la Perle » qui a fait vaciller la dynastie sunnite en place, sauvée alors in extremis par l’armée saoudienne, la contestation de la « minorité majoritaire » chiite (70% des nationaux du royaume) prend de l’ampleur : vendredi 9 mars, le royaume a même connu la plus grande manifestation de son histoire. Des dizaines de milliers de personnes – 100 000 prétend l’opposition, une estimation confirmée par un reporter de Reuters – sont descendues sur la principale artère de la capitale Manama, et d’autres villes du Bahreïn ont connu des mouvements. Les manifestants répondaient à l’appel d’un dignitaire religieux chiite, cheikh Issa Kassim. Les banderoles dénonçaient la dictature de la dynastie al-Khalifa et réclamaient la libération des détenus politiques. Le cheikh Kassim a pris la parole pour dire que les manifestants ne transigeraient pas avec ces revendications. Des incidents avec les forces de l’ordre ont suivi, qui auraient duré une heure. D’autres incidents seraient intervenus dans un quartier de Manama et dans un village avoisinant. Le gros des manifestants s’est dispersé sans incident, mais le mouvement chiite a pris la mesure de sa force. D’autant que le même jour, un démonstration des partisans du pouvoir n’a réuni que quelques centaines de personnes ! Des milliers de personnes avaient déjà manifesté le 4 mars, réclamant ouvertement la chute de la dynastie au pouvoir.

"A bas les Khalifa !" : Manaa le 4 mars. Autant dire "à bas le al-Thani et les Séoud" !
Le mouvement, après une période d’atonie due à la répression, est reparti à la fin de l’année dernière. Le 24 janvier, notamment, une vague de manifestations a secoué le royaume-île. Puis, le 14 février, des heurts avaient opposé plusieurs milliers de manifestants qui tentaient d’investir la place centrale de Manama, haut-lieu de la révolte bahreinie de février 2011. Le 16, les troubles avaient touché plusieurs localités du royaume. Et le  20 février, des jeunes s’étaient encore affrontés aux forces de l’ordre, suite à la mort d’un jeune manifestant chiite qui s’était immolé par le feu pour des raisons politiques.

Trois semaines plus tard, le mouvement est plus fort et déterminé que jamais, et on se demande comment la monarchie des al-Khalifa, et surtout son protecteur saoudien – qui a laissé des troupes sur place -, peuvent réagir à plus ou moins brève échéance. On se doit se rappeler que par sa situation géographique, coincée entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, le royaume du Bahrein est un baril de poudre, plus encore que de pétrole, géostratégique. Le royaume abrite une base navale américaine, alors que la tension demeure très vive entre Washington et Téhéran. Les monarques sunnites wahhabites ne peuvent rester sans réagir face à un mouvement qui peut s’étendre à une partie de l’Arabie Saoudite, qui a ses minorités chiites de plus en plus turbulentes elle aussi.
Les manifestants de Manama réclamaient la « démocratie« . Mais la démocratie au Bahrein, ça signifierait l’arrivée d’une majorité chiite au pouvoir, et un exemple angoissant pour le Qatar et l’Arabie Saoudite. Bref, ces deux royaumes et le Conseil de coopération du Golfe vont devoir se concentrer assez vite sur leurs propres affaires, après avoir échoué à subvertir la Syrie. La roue tourne, décidément.


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